La Réunion: l’ETAT pêche et commet 174 infractions dans la Réserve marine

Contexte

Le 19 mai 2021, le Conseil Scientifique de la Réserve Naturelle Marine de la Réunion (CS) a publié une auto-saisine fracassante pour dénoncer les actes de pêche illégale du Centre Sécurité Requin (CSR) dans les zones les plus protégées de la Réserve marine : du braconnage, ni plus ni moins !

Extrait : « [….] avec une telle pression de pêche au sein même des zones les plus protégées de la Réserve, qui semblent particulièrement ciblées, le Conseil scientifique de la RNMR se demande si celle-ci est encore une Réserve Naturelle Marine digne de ce nom ou si elle n’est pas devenue une RNPR (« Réserve Naturelle de Pêche de La Réunion ») » .…

Les recommandations scientifiques systématiquement ignorées

Avec la conclusion suivante : « Le Conseil Scientifique rappelle que les demandes formulées précédemment pour la pose d’engins de pêche aux requins au sein des zones de protection renforcée ZPR 2A, ont fait l’objet d’avis défavorables sur la base d’arguments scientifiques. En effet, Il n’a toujours pas été démontré scientifiquement que ces pratiques diminuent le risque requin, alors qu’elles représentent une menace pour l’écosystème récifal. Le Conseil Scientifique de la Réserve Naturelle Nationale Marine dénonce un tel dysfonctionnement peu ou pas respectueux, ni de la réglementation, ni des procédures administratives, et qui met en jeu la pérennité de l’écosystème récifal réunionnais. Ceci est fort surprenant de la part d’une instance gérée par un GIP présidé par Monsieur le Préfet de La Réunion. »

Un mois plus tard, le 19 juin 2021, après une réunion en sous-préfecture de Saint-Paul, un courrier adressé aux autorités locales et nationales, précisait notamment :

« Le Conseil Scientifique précise à Mme la sous-préfète que des réunions tripartites destinées à établir un dialogue avec le Centre Sécurité Requins ont déjà eu lieu par le passé, notamment suite à plusieurs projets présentés par le CSR qui ont donné lieux à des avis défavorables par le Conseil Scientifique (pêches en ZPR 2A, procédures de pêches « post observation », déploiements de BRUVS).

Les avis du Conseil Scientifique sur ce thème, toujours circonstanciés et argumentés, n’ont pas été suivis par l’État, et ce à plusieurs reprises. Cela conduit aujourd’hui le Conseil Scientifique à un grand découragement et à une remise en question de son rôle de conseil permanent auprès du Préfet. [….]

L’ETAT, via le CSR, commet 166 infractions à la réglementation dans la Réserve marine

Il y a donc bien eu près de 166 infractions à la réglementation dans la RNNMR. Même si elles ne représentent que moins de 2 % des positions d’engins de pêches totales déployées au cours des dernières années, elles ont bien été effectuées en ZPR 2A et en sanctuaires, ce qui est inacceptable. [….] A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous avons le regret de constater que les données d’efforts de pêches du CSR, précédemment visibles sur le Géo-portail Sextant de l’Ifremer en date du 19 mai 2021 (auto-saisine) [….] sont désormais « invisibles ». Cela est en totale contradiction avec les pratiques de mise à disposition de données publiques sur un site de l’État. » Il est donc impossible de relever d’éventuelles nouvelles infractions…

Des pratiques interdites classées sans suite par le Procureur

Les avocats de notre Collectif d’associations ont déposé plainte contre « X » en août et septembre 2021. Les chefs d’accusation étaient :

  • Pratique d’une activité interdite dans le périmètre d’une réserve naturelle, infraction prévue par le décret n°2007-236 du 21 février 2007 et réprimée par l’article L.332-25 du Code de l’environnement ;
  • Pêche sans autorisation, infraction prévue par le décret n°2007-236 du 21 février 2007 et réprimée par l’article L.945-4-1° du  code rural et de la pêche maritime ;
  • Pêche dans une zone interdite, infraction prévue par le décret n°2007-236 du 21 février 2007 et réprimée par l’article L.945-4-3° du code rural et de la pêche maritime.

Pour mémoire, ces infractions sont punies :

  • de six mois d’emprisonnement et de 9 000 euros d’amende (L.332-25 du CE),
  • de 22 500 euros d’amende (L.945-4-1° et L.945-4-3° du CRPM).

La plainte a été classée sans suite par le Procureur de la République, après quasiment une année d’attente et de relances incessantes. Le motif de ce classement sans suite : « Les faits dénoncés ou révélés dans le cadre de cette procédure ne sont pas punis par un texte pénal ». (sic !)

Une nouvelle plainte à déposer par les associations

Inutile de vous dire que nous ne laisserons pas les choses en l’état. 

Une plainte avec constitution de partie civile sera donc déposée d’ici la fin juillet 2022 auprès d’un juge d’instruction.

En attendant, nous avions engagé le 21 avril 2022 un recours préalable auprès du préfet pour solliciter l’arrêt des opérations de prélèvement et de destruction de requins dans le cadre du « programme de pêche de prévention ».

Le préfet de La Réunion préside la Réserve marine et le CSR

Le préfet, Jacques Billant, nous a répondu récemment. Concernant les infractions commises par le Centre Sécurité Requins dans la Réserve marine, il nous déclare :

« Il est important de prendre en compte le bilan des programmes de pêche de prévention en termes d’effort de pêche et il convient d’y apporter les précisions suivantes. Si les positions de pêche (13 396 positions de 2014 à 2020) sont situées à 42 % au sein du périmètre de la RNMR, en cohérence avec la localisation des sites d’activités nautiques et des attaques récentes, seule une très faible proportion (174 positions) est située dans des zones interdites à la pêche professionnelle (166 en ZPR classée 2A et 8 en zone de Sanctuaire classée 3), soit 1,3% de l’ensemble des déploiements et 3,1% de ceux réalisés dans le périmètre de la RNMR.

La situation dénoncée par les associations environnementales reste exceptionnelle. Les 174 positions litigieuses montrent au contraire le soin que mettent les pêcheurs du programme de pêche de prévention, qui travaillent le plus régulièrement possible et le plus proche possible des zones d’activités où les usagers s’exposent de plus en plus au risque d’attaque, à respecter la réglementation de la RNMR malgré l’absence de matérialisation de ses limites (plusieurs bouées de la RNMR sont régulièrement ou systématiquement absentes). »

En conclusion

Ces déclarations appellent de notre part les commentaires suivants :

  • Cette situation illégale du CSR a été dénoncée publiquement en premier lieu – et en des termes vigoureux – par le Conseil Scientifique de la Réserve marine, et non par « les associations environnementales » !
  • Les données de suivis s’arrêtent à 2020 ?! Qui donc contrôle donc le travail des salariés et des prestataires du CSR ? Est-ce là encore de l’obstruction à l’information ?
  • Le Conseil Scientifique avait constaté « près de 166 infractions à la réglementation de la Réserve ». On passe maintenant à 174 (encore pire). Et le préfet estime cela « très faible » voire « exceptionnel » ?!
  • Le préfet ne manque pas d’humour en déclarant que « Les 174 positions litigieuses montrent au contraire le soin que mettent les pêcheurs du programme de pêche de prévention, [….] à respecter la réglementation de la RNMR »…?
  • Quant à la conscience professionnelle desdits pêcheurs, on ne peut que rappeler les écrits du Conseil Scientifique relatant la réunion du 3/06/21 en sous-préfecture : 

« Dans le cadre de l’auto-saisine du CS liée à plus de 160 positionnements d’engins de pêches par des pêcheurs mandatés par le CSR en zones de protection renforcée (ZPR 2A) et de sanctuaire de la RNMR, un des argumentaires avancés par le CSR, est que les positions géographiques identifiées sur le portail Sextant de l’Ifremer seraient en fait des positions de navire de pêche, et non pas des positions d’engins de pêches. Nous avons convenu que cet argumentaire était plus que douteux. D’une part, il met en cause le professionnalisme même des pêcheurs quant à leur capacité à se positionner en mer de jour comme de nuit et d’autre part, plusieurs positionnements sont observés en plein milieu des zones interdites à la pêche et non pas uniquement en bordure.

Pire encore, cela signifie qu’en fait, le pêcheur ne connait pas précisément la position des engins de pêches. Cela serait in fine assez grave et problématique pour toute la suite des analyses de données sur les pêches effectuées dans le cadre du programme PRP2. Cela implique également que le suivi de ces pêches et de leurs positionnements ne faisaient pas suffisamment l’objet de vigilance en interne au CSR. En effet, si cela avait été le cas, le CSR aurait vraisemblablement demandé aux pêcheurs de ne pas pratiquer ces pêches illégales. Par ailleurs, et cela est d’autant plus surprenant, les rapports trimestriels des observateurs, lorsqu’ils sont embarqués, indiquent une conformité à 100 % du système de suivi GPS. Ce qui implique qu’en présence des observateurs, les pêcheurs mandatés montrent une parfaite connaissance dans l’utilisation des outils de positionnement de leurs engins de pêche. »

Rappelons que les observateurs sont présents sur MOINS de 10% des sorties des pêcheurs….

Dans les termes « Nous avons convenu », il y a évidemment l’ensemble des participants à la réunion en question, à commencer par l’Etat, qui préside à la fois la Réserve marine et le CSR (mais non, il n’y a pas de conflit d’intérêt….). Alors ?!

Quant aux « p’tits braconniers péi », ils encourent – à raison – de fortes peines d’amendes, voire des peines de prison, en cas d’infractions réitérées dans la Réserve marine…mais pas le Centre Sécurité Requins.

Courrier de Didier Derand, représentant du Collectif « Requins en Danger à La Réunion »