Quand le poissonnier ne sait pas ce qu’il vend…

Ce samedi 25 février 2023, sur l’étal d’un poissonnier d’un marché parisien dans le 14ème arrondissement, un requin mort, pas encore découpé pour la vente, sert de décoration. La mise en scène le présente gueule ouverte… Rien de mieux pour alimenter les peurs et attirer l’attention. Quelle tristesse et quelle bêtise…

Renseignements pris auprès du poissonnier : il ne sait pas ce qu’il vend. Selon lui, il s’agit, d’une « roussette » … Il hésite, s’étonne de la taille, donne un autre nom: « veau marin ». Au client suivant, il redonne le nom de roussette. Il semble, en revanche, sûr de l’origine de la pêche, soit la Bretagne ! Par ailleurs, aucune étiquette ne précise ni l’espèce ni le lieu de pêche, comme la loi le demande. Le poissonnier explique que l’animal n’est pas à vendre aujourd’hui (??) : « on le découpera demain pour sa viande qui est très bonne ». Mais le lendemain, le poissonnier et son requin non identifié seront sur un autre marché…

Les roussettes

En effet, question identification, il existe 17 espèces de roussettes. Là, c’est évident que ce n’est pas une roussette. Certes, la grande roussette (Scyliorhinus stellaris) peut atteindre jusqu’à 1,50 m de long. Toutefois, sa particularité est d’avoir de grosses taches rondes noires sur le dessus du corps. Et c’est précisément la présence de ces taches sur leur peau qui a donné le nom commun de roussettes à ces requins. Ici, c’est évident : point de taches. Ce n’est donc pas une roussette.

Le veau marin ou maraîche

Deuxième assertion du poissonnier : il s’agit d’un veau de mer, connu également sous différents vocables tels que maraîche, requin-taupe commun ou requin marsouin (Lamna nasus). Cet animal est classé Vulnérable par l’UICN : il est donc menacé de disparition, mais pas interdit à la pêche. La taille adulte de ce requin peut atteindre 3,50m. Or, le spécimen exposé mesure un peu plus d’un mètre. Il s’agirait donc d’un juvénile …si tant est que l’identification du poissonnier était la bonne. Et ce n’est pas le cas.

Le requin-hâ ou milandre

En fait, il s’agit d’un requin-hâ, milandre ou requin à grands ailerons (Galeorhinus galeus). Autrefois, il était très répandu et présent dans les trois grands océans. Il continue d’être pêché pour sa chair, pour ses ailerons et son foie. Chez cette espèce de requin, les mâles sont sexuellement matures quand ils mesurent environ 135 centimètres. Les femelles le sont à environ 150 centimètres. Leur taille adulte est respectivement de 175cm et 195cm. L’animal de l’étal du poissonnier était probablement proche de sa maturité sexuelle. Il ne se reproduira pas. Au 23 janvier 2023, l’UICN a classé cette espèce en catégorie CR (en danger CRitique) dans la liste rouge des espèces menacées. Victime (parfois collatérale) de la pêche, le requin-hâ a vu sa population décliner de plus de 80 % en 80 ans.

Mauvaises identifications

Evidemment, le poissonnier n’est pas tenu de connaître TOUS les poissons, mais il est tenu de s’informer sur les poissons qu’il va revendre. Alors, qui n’a pas fait le job ? Est-ce une mauvaise identification de la part de ceux qui pêchent ? Est-ce de la mauvaise foi face à une espèce en danger ? La pêche de ce requin n’est pas interdite SAUF si elle a était faite à la palangre … Alors quelle était la méthode de pêche ? Et pourquoi n’y-a-t-il pas d’étiquetage ?

Un autre animal était mal identifié : une raie. Selon l’étal du poissonnier, il s’agissait d’une raie pelée (Raja binoculata). Cette pêche était en provenance de Boulogne-sur-mer. Or l’espèce proposée à la vente était la raie ondulée ou raie brunette (Raja undulata). Cette espèce est classée EN danger de disparition par l’UICN. Elle est sous quota de pêche et ne peut être pêchée en-dessous d’une taille minimale (hors queue) de 78 cm. Pas sûr que l’on atteignait les 78cm pour toutes ces raies proposées à la vente…

Alors, si ces animaux sont mal identifiés, les autres espèces le sont-elles correctement ? On peut s’interroger…

Conclusion : au consommateur d’être vigilant

Les lois existent mais ne sont pas appliquées. Selon la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les règles applicables à l’étiquetage des produits issus de la mer et de l’aquaculture figurent au règlement (CE) n°1379/2013 du 11 décembre 2013. Les précisions obligatoires sont la dénomination commerciale, le nom scientifique, la méthode de production (« pêché », « pêché en eau douce » ou « élevé »), la zone de pêche, de capture ou d’élevage. Cela étant, combien d’inspecteurs sont disponibles pour la vérification des marchés ? Que fait la Direction de la mer pour vérifier les retours de pêche ? Editer des lois, c’est bien, mais si les effectifs sont insuffisants pour les appliquer ?

C’est à nous, consommateurs, en bout de chaîne, d’être exigeants. Prenons nos responsabilités. Interrogeons les commerçants. Demandons au poissonnier, au restaurateur, aux magasins d’où viennent les poissons que nous consommons, comment ont-ils été pêchés. Ne croyons pas tout ce que l’on nous dit. Informons-les quand ils semblent ne pas savoir. C’est leur propre métier qu’ils mettent en péril en ignorant les lois et les espèces en danger de disparition.

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