Rodrigues et les requins

Rodrigues est cette toute petite île de l’océan Indien, à environ 580 km à l’est de l’île Maurice et à un peu plus de 800 km de La Réunion. Avec ses deux grandes « îles-soeurs », elle fait partie de l’archipel des Mascareignes. Petite île car elle ne fait que 18 km de long pour 8 km de large. Sa superficie est de 110 km2. Toutefois, son lagon a une surface deux fois supérieure à celle de ses terres émergées.

Cette île éloignée et qui fait rêver subit elle aussi le contrecoup de la mondialisation : de plus en plus de véhicules, une population en augmentation, une fréquentation touristique aussi. Ce n’est pas sans conséquence sur la faune et la flore, y compris sur le lagon. Autrefois abondants, comme partout ailleurs dans le monde, Rodrigues et les requins ne font plus bon ménage. De fait, nous n’avons vu aucun requin en plongée. Les plongeurs locaux nous ont confirmé que c’était désormais rare d’en voir. Les seuls requins que nous avons vus sont à vrai dire des ailerons suspendus en train de sécher…

Quelles espèces de requins ?

Le lagon est peu profond. Le malheureux requin qui y tente une incursion n’y survit pas, comme nous l’a indiqué notre guide. En effet, étant donné le nombre de pêcheurs qui s’y trouvent, l’animal a tôt fait d’être tué. Et vu la faible profondeur du lagon – souvent moins d’un mètre -, il s’agit probablement d’individus juvéniles. De quelles espèces de requins s’agit-il ? Nous n’avons pas eu de réponse à cette question. L’animal est considéré comme une menace et il est pêché, puis consommé.

Risque ciguatera ?

Alors que les barracudas ne sont ni pêchés, et surtout pas mangés car reconnus comme porteurs de la ciguatera, qu’en est-il des super-prédateurs que sont les requins ? Il n’existe à ce jour aucun moyen de reconnaître si un poisson est atteint ou non par la ciguatera. Cette toxine est un micro-organisme unicellulaire. Elle se fixe sur des algues plus grosses qui se développent sur les coraux morts des régions tropicales. La pollution des lagons et le réchauffement climatique aident à sa prolifération. Il semble que les périodes post-cyclones aussi. Les poissons coralliens herbivores accumulent la toxine dans leur corps et ce sont leurs prédateurs qui la concentrent dans leur organisme. Et c’est ce qui est dangereux pour le top-prédateur que nous sommes : manger un poisson ciguatérique peut nous mener tout droit à l’hôpital, voire au cimetière. Et plus on mange de poisson ciguatérique, plus le risque d’intoxication grave augmente. De fait, la toxine s’accumule aussi dans notre organisme, atteignant le système nerveux central, le coeur, l’appareil digestif… Le mieux est d’éviter la consommation des poissons à risque dont les requins, murènes, barracudas, mérous et autres espèces prédatrices.

Et le shark finning ?

La surprise fut surtout de trouver des ailerons de requins découpés en train de sécher au soleil. Rodrigues et les requins, un désamour ? L’île serait-elle une plaque tournante du trafic d’ailerons de requin ? Probablement pas. Les ailerons photographiés appartenaient sans doute au même animal, un requin pointes blanches de récif (Carcharhinus albimarginatus), une espèce classée Vulnérable par l’UICN.

Les espèces les plus fréquemment pêchées (hors lagon) sont le requin pointes blanches de récif, le requin gris de récif (dagsit), deux espèces de requins-marteaux : le halicorne et le marteau à festons et le requin bouledogue.

On aurait pu espérer qu’une île aussi isolée que Rodrigues nous offre la chance de voir des requins bien vivants. Cela n’a pas été le cas. Quant aux ailerons qui séchaient, nous ne saurons pas s’ils étaient destinés à une consommation personnelle, ou s’ils iront alimenter le trafic international qui n’a pas cessé, malgré les lois, décrets et réserves maritimes qui ont été créées…