Nausicaá : 28 requins marteaux morts sur 30 individus prélevés dans la nature en 2011 et 2018 pour le centre de Boulogne-sur-mer

En mai 2018, nous nous interrogions sur le coût de l’ambitieux projet de Nausicaá, centre de la mer à Boulogne-sur-Mer. En effet, le projet d’extension de Nausicaá a démarré en 2010. Le requin-marteau est choisi pour être le symbole de la mer dans le futur grand aquarium de 10000m3. Dès 2011, vingt requins marteaux juvéniles  (Sphyrna lewini) sont prélevés dans leur milieu naturel en Australie et envoyés à Boulogne-sur-Mer. Le coût financier de ce premier achat de 20 requins est de 652 750€, soit environ 33 000 € le requin. « Ce tarif inclut les frais de capture des animaux (après autorisation de prélèvement en milieu naturel) et d’acheminement par avion-cargo, puis transport routier jusqu’à Nausicaá », détaille le service communication de la Communauté d’agglomération du Boulonnais (CAB).

Pour amener ces jeunes requins à l’âge adulte, il leur faut un bassin, autre que l’aquarium destiné au public qui est en cours d’aménagement. Une « réserve aquariologique » est donc aménagée dans un hangar de Garromanche pour un coût de 2,4 millions d’euros (hors fonctionnement). Si d’autres poissons passent par de ce bassin d’élevage, dix-neuf des vingt requins-marteaux meurent à Garromanche. Nous nous rappelons de la surprenante déclaration du Directeur de Nausicaá qui invoquait dans un premier temps « avoir sauvé ces requins d’une mort certaine » en les prélevant dans la nature, puis plus tard, pour expliquer ces morts en série, « les conséquences de la sélection naturelle »… Un seul rescapé donc sur les vingt a pu atteindre l’âge de sept ans révolus à ce jour.

En avril 2018, sept ans après le premier cheptel, dix nouveaux bébés requins-marteaux sont livrés à Boulogne-sur-Mer en provenance d’Australie, à des tarifs équivalents à ceux de 2011. Mais neuf de ces dix individus meurent à leur tour.

Bilan lourd : 1 M€ pour 30 requins-marteaux dont 2 ont survécu et plus de 500 000 € pour 2 raies manta dont seul le mâle est encore vivant…

Le montant total des deux acquisitions de requins marteaux tourne autour du million d’euros. Il faut y ajouter le montant de la construction de la réserve aquariologique (démantelée depuis). Coût : environ 3,3 millions d’euros déboursés dans cette opération.  Sans compter les frais de personnel, de soins aux animaux, de transferts vers Nausicaá …. L’addition est d’autant plus lourde que le résultat est navrant : les requins-marteaux sont presque tous morts. Le requin adulte n’a passé que quelques jours dans le grand bassin, avant l’ouverture du Grand Nausicaá au mois de mai, puis il est tombé malade. Son acclimatation est re-programmée ces prochains jours, au sortir de la fermeture annuelle de Nausicaá (le 26 janvier 19). Le plus jeune va continuer à grandir dans un arrière-bassin jusqu’à atteindre sa taille adulte, à l’abri de son aîné.

Nausicaá a également fait l’acquisition de deux raies manta prélevées au large de la Floride en 2018. Malheureusement,  en octobre, la raie manta femelle est morte un mois après son arrivée à Boulogne, des suites de parasites intestinaux. Elles étaient deux dans le grand bassin, il ne reste que le mâle. Nausicaá n’a pas souhaité communiquer sur le prix d’acquisition de ses raies manta. Selon les informations de « La Voix du Nord », recoupées auprès de professionnels du marché, une raie manta, c’est pratiquement neuf fois le prix d’un requin-marteau : environ 250 000 euros hors transport.

Réfléchissons ensemble…

Est-ce que cela en valait la peine ?… On se préoccupe, à raison, des cétacés confinés dans des bassins alors que ces animaux vivent en pleine mer. Il en est de même pour les requins : pourquoi devrait-on prélever et condamner à vivre en aquarium ces poissons qui réalisent des migrations de plusieurs milliers de km pour leur reproduction et leur alimentation ? L’argument de médiation scientifique auprès du public a fait long feu. Les ambitions humaines, en revanche… Quel avenir voulons-nous donner à la vie sauvage marine ? Celui de l’observer dans un aquarium en payant un ticket ? Un ticket hors de prix…


Qui paie : la collectivité ou les fonds propres de Nausicaá ?

En 2010, c’est la CAB (Communauté d’agglomération du Boulonnais) qui a réglé les 652 750 € d’achat des vingt premiers requins-marteaux. Elle l’explique du fait que, à l’époque, l’identité de l’exploitant du Grand Nausicaá n’était pas connue (*). La CAB indique que depuis, « la SEM Nausicaá a remboursé à peu près la moitié » de cette somme. Pas la totalité car « Nausicaá avait dû investir en complément pour la gestion quotidienne de l’élevage ».

C’est également la CAB qui a, dans un premier temps, financé les 2,4 M € de la réserve aquariologique de Garromanche. Là encore, la collectivité affirme que Nausicaá a remboursé cette somme intégralement… et même plus, puisque se sont ajoutés « 495 000 € de loyers perçus ». En revanche, les dix derniers requins-marteaux et les deux raies manta ont été acquis directement sur le budget de Nausicaá. Lequel était alimenté, au 31 décembre 2017, principalement grâce aux produits de la billetterie (7,4 M €) et à la vente de marchandises (2,1 M €). En comparaison, les subventions perçues pour l’exploitation sont de 2,5 M €. Nausicaá achète donc ses animaux en majorité sur ses fonds propres et affichait dans son dernier compte de résultat un bénéfice net d’1 M €. Il n’est donc, pour l’heure, nullement question de renflouer la SEM.

(*) La SEM Nausicaá a remporté le marché de la nouvelle délégation de service public sept ans plus tard, en décembre 2017.

source : La Voix du Nord, 12 janvier 2019