La Réunion : mort inutile d’un requin-marteau

La femelle requin-marteau tirée hors de l’eau pour être examiné par un vétérinaire. « L’objectif est de voir si elle avait d’autres petits dedans. » Comme d’habitude, le public n’aura sans doute pas accès aux résultats de cette autopsie. © C. Terrieres

Le 22 février 2021, les Maîtres Nageurs Sauveteurs (MNS) du poste de la plage de Roches-Noires à Saint-Gilles-les-Bains ont trouvé un requin-marteau femelle mort. Il s’est retrouvé prisonnier du filet de protection installé pour protéger la baignade. L’animal, un adulte de 2 mètres environ, qui, selon les médias atteint même trois mètres, n’a pas survécu à son immobilisation forcée dans le filet. Encore une mort inutile d’un requin-marteau, ou plutôt la mort inutile de cette femelle et de sa progéniture.

Un requin marteau halicorne femelle morte inutilement

Comme chacun sait, y compris Willy Cail, directeur du Centre Sécurité Requin (CSR) qui l’a d’ailleurs précisé aux médias : « Ce requin est très fragile, dès qu’il ne nage plus il n’a plus d’oxygène, ce qui explique son décès, coincé dans les filets« . D’ailleurs, les requins-marteaux, animaux unanimement reconnus comme fragiles, sont classés, au niveau mondial, En Danger Critique d’extinction (CR) par l’UICN et en Annexe II de la CITES.

Et toujours selon le CSR, « ce requin de trois mètres (!!) était certainement venu mettre bas dans les eaux [de La Réunion] ». En effet, cette espèce, Sphyrna lewini, est vivipare. Une femelle peut donner naissance de 15 à 30 juvéniles vivants, dont la taille oscille entre 40cm et 55cm à la naissance. Cette femelle, victime du filet, était gestante : un requin nouveau-né, mort également, a été retrouvé non loin d’elle. Elle a certainement agonisé un long moment, essayant de se libérer du filet pour accomplir sa mission de reproduction de l’espèce. Elle s’est donc noyée, sa portée avec elle. Une génération est morte, la suivante aussi.

Pour information, aucun cas d’accident mortel n’a été rapporté avec cette espèce, reconnue généralement comme assez timide. Si vous avez la chance d’en observer en plongée, vous verrez que ce sont des animaux qui « passent », seul ou en groupe ; naturellement, ils ne cherchent pas les interactions avec les plongeurs et poursuivent leur chemin.

Les filets de baignade en question

Pour éviter ces morts inutiles (mère et juvéniles), il aurait suffit de lever le filet. En effet, la protection de la biodiversité marine était initialement « prévue » dans les présentations de Monsieur Guyomard, anciennement au CRPMEM et désormais actif au CSR. Il fallait cibler les espèces de requins-tigres et bouledogues et de ne pas nuire à la biodiversité marine. Et pourtant, que fait-on d’autre, à la Réunion, à part attirer des requins pour les tuer, et tant pis pour les autres espèces capturées et déclarées « prises accessoires » ? Il est loin le temps où David Guyomard déclarait que les « smart drum lines n’occasionneront aucune prise accessoires » en réunion plénière du CO4R… Le prétexte donné est la sécurisation d’une activité de loisir qui ne concerne que quelques individus. A moins que ce ne soit pour l’accès à une manne financière qui semble intarissable… et qui ne concerne que quelques individus ?

Le fait est que cet animal est mort par … négligence. C’est d’ailleurs un euphémisme, mais le mot « flemme » semble tellement incongru … »On » a décidé de ne pas relever les filets de protection de la plage, puisqu’il aurait fallu les remettre le lendemain. Et ça, c’est du travail, rémunéré d’ailleurs. On relève le filet quand il y a un avis de forte houle : on veut bien protéger le matériel, mais la biodiversité marine, on s’en fiche un peu. Ce qui explique le décès de l’animal, ce n’est pas son asphyxie, comme l’explique M. Willy Trail, c’est que le filet n’a pas été relevé.

Virginie Sallé, adjointe de quartier à la mairie de Saint-Paul, déléguée à St-Gilles et à la sécurisation des plages, commentait : « C’est la première fois qu’un requin-marteau se prend dans le filet depuis 4 ans. Il n’y avait pas eu cela non plus dans le filet précédent. » Madame Sallé précisait également dans une interview que des changements auront bientôt lieu au niveau de la sécurisation des Roches Noires : « On va passer comme à celui de Boucan Canot, à des mailles plus petites, de 30cm sur 30cm au lieu de 40cm sur 40cm. » Espérons que cela se fera vite. Et qu’il n’y aura plus de « négligence », que les filets seront bien relevés comme il se doit…

On a aussi lire que ce « requin coincé montre l’efficacité de l’outil dans la réduction des risques », « le filet a fait son travail » (mais pas tout le monde à priori), « c’est un danger en moins pour nos enfants »…. Que d’inepties sont dites, quelle méconnaissance de l’écosystème marin, de la biodiversité, des requins … Et cela fait plus de 10 ans que ça dure. On aurait pu espérer au moins un peu d’intérêt pour la biodiversité marine, mais ce n’est que la pêche et la façon de tuer les requins qui font la renommée de l’île. C’est triste.

Rassurons-nous : le filet est en bonne santé comme son inspection qui a suivi, a permis de le déterminer. La baignade pouvait donc à nouveau être autorisée dès le lendemain sur le secteur. Alors tout va bien, n’est-ce-pas ?…

Combien de requins tués « officiellement » ?

Du 1er janvier 2021 au 24 février 2021, la pêche subventionnée réunionnaise a tué officiellement 22 requins dont 2 requins bouledogues (!) et 20 requins tigres. L’espèce n’est pourtant impliquée dans un seul accident mortel en 20 ans…

Concernant les captures de requins marteaux réalisées par le CSR, le JIR indique dans un article du 22/02/21, : « Selon les rapports des observateurs indépendants, publiés chaque trimestre, deux spécimens ont été capturés et relâchés en bon état de santé, l’an dernier, entre les mois de janvier et août ». Le rapport précise que la pêche a également concerné :

« 50 requins marteaux halicornes (EN danger critique d’extinction) pêchés dont 14 sont morts et 5 furent relâchés « fatigués » : pas d’info sur les 31 autres requins marteaux, mystère ??? et

« 5 requins marteaux communs (VUlnérables) pêchés dont 2 sont morts et 2 ont été relâchés « fatigués », 2+2=4 : qu’est-il advenu du 5ème ?…

Des requins « fatigués »

« Fatigués ? » Soyons plus précis : les individus relâchés « fatigués » ont peu de chance de survie à court terme, du fait des conséquences de la capture. En effet, leur immobilisation forcée les empêche de s’oxygéner. Or ces requins ont besoin de bouger pour s’oxygéner. Le manque d’oxygénation et l’acide lactique produit par le poisson qui épuise ses réserves d’énergie en essayant de se libérer de la ligne paralyse à terme les muscles de l’animal. L’issue est généralement fatale, mais pas immédiatement…. Qui plus est, accroché à la palangre, il peut facilement devenir une proie.

En résumé, ce n’est pas parce qu’en libérant un animal d’une palangre ou d’un filet et qu’il s’éloigne, qu’il va survivre. La plupart du temps, l’animal meurt dans les heures qui suivent. Pour savoir réellement ce qui se passe, il faudrait poser des balises satellite sur les animaux capturés et relâchés « vivants ». Mais il faudrait des spécialistes pour le faire, et il n’y en a pas. Pour l’argent, il y en a : actuellement investi dans des tags spaghetti (juste des marques en plastique) posés par les pêcheurs du CSR !!!! Ces histoires de tags spaghetti ne sont que des marques de pêche, du bla-bla pour se donner une couverture pseudo-scientifique.

Quel crédit accordé aux rapports des observateurs du CSR ?

Le dernier rapport n°9 date donc du mois d’août 2020. On attend toujours le rapport n°10. Pourtant M. Olivier Tainturier, sous-préfet de Saint-Paul et président du conseil d’administration du CSR, dans un article de Zinfo974, déclarait au sujet du CSR le 05/10/2019 : « Dorénavant, un point sera fait fait trimestriellement sur la base du triptyque suivant: Informer, communiquer, éduquer. » On sait que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Nous n’avons donc aucune information sur les prises accessoires depuis août 2020, soit depuis plus de 6 mois.

Rappelons que les rapports en question sont théoriquement réalisés par des observateurs indépendants. Ces observateurs sont rémunérés….. payés par le CSR ! De quelle « indépendance » s’agit-il quand celui que vous observez « travailler » est celui qui vous paie ?! Sans compter que les fameux observateurs sont loin d’être à bord de chaque bateau de pêche. C’est plutôt même le contraire : la majorité des « sorties de pêche » se font sans observateur. Donc les chiffres publiés sur les prises accessoires sont forcément en-deçà de la réalité, connue seulement du CSR.

Conclusion

Où se situe la transparence mise en avant par le CSR ? On a beau chercher, on ne la trouve pas. Le fonctionnement du CSR se fait grâce aux fonds publics. Les informations concernant ces observateurs : qui ils sont, ce qu’ils font, combien sont-ils, leurs rapports bruts et non pas « relus » par le commanditaire, pourquoi ne sont-ils pas sur chaque sortie … devraient donc être des informations accessibles et publiques.

Soyons clair : il est fort peu probable qu’un préfet prenne un jour la responsabilité de lever l’interdiction de baignade et d’activités nautiques* dans la bande des 300m à partir du rivage. Ce qui signifie que « la sécurisation » restera le mot d’ordre des autorités. Sauf que la pêche ne sécurise rien. Et que cette pêche est mortifère pour de nombreuses espèces marines. Il existe d’autres solutions de sécurisation non létales. Mais il semble que les intérêts financiers et politiques soient déjà trop bien ancrés pour changer…

Enfin, le massacre inutiles des requins auquel se livre La Réunion depuis 10 ans impacte les populations de requins de tout l’océan indien, avec des conséquences qui toucheront l’île à brève échéance : si ce n’est cette génération, ce sera la prochaine. Comment ces « professionnels de la mer » peuvent-ils ignorer le rôle des requins dans les océans ?

sources : Zinfo 974, Clicanoo, linfo.re / crédit vidéo : Clément Terrières

* hors plongée subaquatique