Nausicaà prélève des animaux sauvages dans la nature, à quel prix ?

A l’heure où le public ne veut plus d’animaux dans les cirques, où les zoos sérieux ne prélèvent plus d’animaux dans la nature, l’aquarium de Nausicaà n’a pas lésiné pour « peupler » sa nouvelle prison marine, dont l’ouverture a eu lieu le 19 mai 2018. A terme ce seront 22000 animaux qui rejoindront les 36000 pensionnaires déjà présents à Nausicaà.

Ce nouveau bassin gigantesque de 10 000m3 d’eau de mer (environ 4 piscines olympiques) fait de Nausicaà le plus grand aquarium d’Europe et le 4ème du monde. Il a fallu une semaine pour le remplir avec l’eau de mer, pompée grâce à un système de captage installé sous la plage de Boulogne. Cette opération a d’ailleurs été opérée plusieurs fois pour tester l’étanchéité du bassin. Y a-t-il eu des études d’impacts sur le milieu ? En tout cas, rien n’a été communiqué à ce sujet. En revanche, les communications ne manquent pas quand il s’agit de faire de la publicité. Et les arguments laissent sans voix!!

« Requins-marteaux, raies manta et tortues géantes vont donc prendre place dans le bassin d’eau chaude », peut-on lire dans les « teasers » de Nausicaà. Quant à la façon dont ils arrivent dans les bassins : les prélèvements se font dans la nature. Ainsi, les requins-marteaux (Sphyrna lewini) arrivent d’Australie, les raies manta (Mobula birostris) de Floride. Ce sont encore des « bébés » qui ont été prélevés au sein de leur milieu naturel, mais comme le précise Philippe Vallette, le directeur de Nausicaà : « Nous ciblons des juvéniles. Ils sont prélevés dans des nurseries où règne une forte compétition. Dans leur milieu, ces jeunes requins ont de fortes chances de mourir de faim ou d’être mangés. Près de 80 à 90 % des juvéniles ne survivent pas ». Le directeur estime que cette démarche les a peut-être sauvés d’une mort certaine. Argument fallacieux et totalement à l’opposé d’un esprit scientifique : on fait appel à la corde sensible pour ne pas parler des millions d’euros en jeu…

Or, de la part d’un océanographe, un tel argument est tout simplement inacceptable : on les « sauve » en les capturant !!! Monsieur Valette omet de préciser que déjà en 2011, « une dizaine » de requins marteaux ont été prélevés de leur milieu naturel en Australie pour Nausicaà en vue de l’agrandissement de ce cirque aquatique. Un seul individu a survécu, ce qui fait un taux de mortalité d’au moins 90% sur les animaux prélevés. L’unique rescapé a été soigné par l’équipe de Nausicaá, loin des yeux du public, dans un bassin spécialement aménagé dans un hangar par la Communauté d’agglomération du Boulonnais sur le site industriel de Garromanche, à Outreau. Pour gagner son nouveau bassin, et être présenté au public, il a été transféré par la route jusqu’à Nausicaá, à 2 km de son lieu d’incarcération. Cette opération nécessitait de l’anesthésier. Aucune information sur le coût de toutes ces opérations, ni sur le retour sur investissement prévu, ni sur le bien-être de l’animal … Car ne nous leurrons pas, : il s’agit bien de gagner de l’argent. Un entrefilet de journal local permet de connaître le « petit coup de pouce de la communauté d’agglomération du Boulonnais qui a d’ailleurs octroyé une enveloppe de 2,5 millions d’euros pour l’achat des animaux ».

Quant à la sensibilisation et l’éducation, qu’en est-il vraiment ? C’est toujours au nom de ces nobles valeurs que l’on (s’)autorise des agissements discutables. « Ces raies manta sont une nouveauté à Nausicaá. Il s’agit d’une espèce classée vulnérable par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Avec ces raies, nous sensibiliserons les visiteurs à la protection des espèces marines», explique Philippe Vallette. Pas un mot sur ce en quoi consiste cette sensibilisation…? S’agit-il seulement de montrer ces animaux dans ce décor pseudo-naturel ? et de demander aux visiteurs de l’argent – en plus du billet d’entrée – pour « soutenir financièrement les organisations travaillant à la conservation de ces espèces ». Vous paierez deux fois votre visite … tout en ayant la conscience tranquille d’avoir contribuer à sauver des espèces, mais sans savoir quelle part de votre don bénéficiera réellement aux animaux menacés. Plus concrètement, on est dans la consommation d’un produit de loisir…

Aussi grand soit ce bassin, il n’est pas l’océan où ces espèces – requins, raies, tortues …- circulent naturellement sur des milliers de kilomètres. Pour les protéger, au lieu des les emprisonner, ne faudrait-il pas surtout diminuer l’impact de nos activités comme la surpêche, et le braconnage?

Nausicaà avait pourtant eu recours dans le passé à des échanges d’animaux avec d’autres aquariums, sans impacter la nature par des prélèvements inutiles. Pourquoi ces prélèvements sur des espèces menacées alors ? Pour reproduire un éco-système, celui de Malpello en Colombie. Sans doute suite à un voyage du directeur….

Tout cela est fort dommage. Alors que l’on croyait notre société en train de progresser en matière de bien-être animal, il semble que les poissons ne soient pas encore entrés dans notre champ de conscience à ce niveau. Les cirques aquatiques en général, et la « locomotive touristique des Hauts-de-France », comme se présente Nausicaà, ont de beaux jours devant eux, tant que l’espèce humaine ne s’interrogera pas plus sur l’avenir très menacé de ses colocataires sur la planète, et de l’impact de leur disparition sur sa propre survie.

Questions à (se) poser (liste non exhaustive) :

Le mâle requin-marteau, seul survivant de l’importation de 2011, est donc âgé de sept ans et mesure aujourd’hui 2 mètres de long. Ces (au moins) 9 autres congénères n’ont pas survécu au prélèvement initial, d’où ce taux de 90% de mortalité sur les sujets juvéniles prélevés. En 2018, ce sont 9 autres requins-marteaux juvéniles (moins de 50 cm) qui sont arrivés en provenance de l’Australie. Cinq raies, de 80 cm d’envergure actuellement, ont été capturées au large de la Floride (2018). Combien sont prélevés pour arriver à l’exportation d’individus vivants? Combien de ces animaux survivront à la captivité? Aurons-nous accès à l’information? Quel est le prix de ces animaux? Qui les vend?  Et en quoi ces animaux captifs nous renseigneront-ils sur leurs espèces en milieu naturel ?…Quelles sont les prévisions de rentabilité économique de ce projet pharaonique ? Un peu de transparence, s’il vous plaît…

Au total, Nausicaà affiche une population de 58 000 animaux répartis dans près de 70 aquariums : requins-marteaux, raies mantas, pour les plus récents pensionnaires, mais aussi lions de mer, caïmans, manchots, tortues caouannes…